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08/03/2013

Morceaux choisis - Maurice Chappaz

Maurice Chappaz

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merci à Gilberte F

Ai-je laissé passer la terre promise?
Les voyageurs sont nus et ivres
et las
et ils ont le mal du pays.
 
Les champs ressemblent à des visages soucieux.
L’aube écrit vite
avec un bâtonnet d’ombre.
 
Un verdier s’enfuit.
Derrière les barreaux de ma vigne j’écoute le printemps.
La pioche retient son souffle: les bourgeons
sont fragiles comme du verre.
 
Je desserre les lèvres de la montagne.
Je suis aux prises avec la première coupe de parfums
ceux qui ont rongé la neige,
les parfums porcs.
 
Ce goût de pomme sûre,
cette odeur de bois pourri, d’humus et de vent,
l’odeur du ventre d’une mère
et d’une feuille d’arbre en voyage.
 
Les collines sont giclées dans les trayons,
les mousses se délivrent.
 
Par millions les fleurs, les graines,
les bestioles infimes,
la cohue des larves d’insectes
traversent leurs pertuis obscurs
comme s’ils pérégrinaient tous
par les vaisseaux de mon corps.
 

Tendres campagnes, dans: Cent poèmes pour ailleurs - Anthologie établie par Claude-Michel Cluny (coll. Orphée/La Différence, 1991)

présenté par Gilberte Favre (itineraires.blog.24heures.ch)

05/03/2013

Morceaux choisis - Marie Noël

Marie Noël

littérature; poésie; anthologie; livres

J’ai vécu sans le savoir, 
    Comme l’herbe pousse ... 
Le matin, le jour, le soir 
    Tournaient sur la mousse. 
 
Les ans ont fui sous mes yeux 
    Comme à tire-d’ailes 
D’un bout à l’autre des cieux 
    Fuient les hirondelles ... 
  
Mais voici que j’ai soudain 
    Une fleur éclose. 
J’ai peur des doigts qui demain 
    Cueilleront ma rose, 
  
Demain, demain, quand l’Amour 
    Au brusque visage 
S’abattra comme un vautour 
    Sur mon cœur sauvage. 
  
Dans l’Amour si grand, si grand, 
    Je me perdrai toute 
Comme un agnelet errant 
    Dans un bois sans route. 
  
Dans l’Amour, comme un cheveu 
    Dans la flamme active, 
Comme une noix dans le feu, 
    Je brûlerai vive. 
 
Dans l’Amour, courant amer, 
    Las ! comme une goutte, 
Une larme dans la mer, 
    Je me noierai toute. 
  
Mon cœur libre, ô mon seul bien, 
    Au fond de ce gouffre, 
Que serai-je? Un petit rien 
    Qui souffre, qui souffre! 
 
Quand deux êtres, mal ou bien, 
    S’y fondront ensemble, 
Que serai-je? Un petit rien 
    Qui tremble, qui tremble! 
 
J’ai peur de demain, j’ai peur 
    Du vent qui me ploie, 
Mais j’ai plus peur du bonheur, 
    Plus peur de la joie 
 
Qui surprend à pas de loup, 
    Si douce, si forte, 
Qu’à la sentir tout d’un coup 
    Je tomberai morte. 
  
Demain, demain, quand l’Amour 
    Au brusque visage 
S’abattra comme un vautour 
    Sur mon cœur sauvage... 
 

Marie Noël, Attente / extrait, dans: Les Chansons et les Heures, - Le Rosaire des joies (coll. Poésie/Gallimard, 1983)

00:23 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

02/03/2013

Lire les classiques - Jean Racine

Jean Racine

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Saintes demeures du silence,
Lieux pleins de charmes et d'attraits,
Port où, dans le sein de la paix,
Règne la Grâce et l'Innocence;
Beaux déserts qu'à l'envi des cieux,
De ses trésors plus précieux
A comblé la nature,
Quelle assez brillante couleur
Peut tracer la peinture 
De votre adorable splendeur?
 
Les moins éclatantes merveilles
De ces plaines ou de ces bois
Pourraient-elles pas mille fois
Épuiser les plus doctes veilles?
Le soleil vit-il dans son tour
Quelque si superbe séjour
Qui ne vous rende hommage?
Et l'art des plus riches cités
A-t-il la moindre image 
De vos naturelles beautés?
 
Je sais que ces grands édifices
Que s'élève la vanité
Ne souillent point la pureté
De vos innocentes délices.
Non, vous n'offrez point à nos yeux
Ces tours qui jusque dans les cieux
Semblent porter la guerre,
Et qui, se perdant dans les airs,
Vont encor sous la terre 
Se perdre dedans les enfers.
 
Tous ces bâtiments admirables,
Ces palais partout si vantés,
Et qui sont comme cimentés
Du sang des peuples misérables,
Enfin tous ces augustes lieux
Qui semblent, faire autant de dieux
De leurs maîtres superbes,
Un jour trébuchant avec eux,
Ne seront sur les herbes 
Que de grands sépulcres affreux.
 
Mais toi, solitude féconde,
Tu n'as rien que de saints attraits,
Qui ne s'effaceront jamais
Que par l'écroulement du monde:
L'on verra l'émail de tes champs
Tant que la nuit de diamants
Sèmera l'hémisphère;
Et tant que l'astre des saisons,
Dorera sa carrière, 
L'on verra l'or de tes moissons.
 
Que si parmi tant de merveilles
Nous ne voyons point ces beaux ronds,
Ces jets où l'onde par ses bonds
Charme les yeux et les oreilles,
Ne voyons-nous pas dans tes prés
Se rouler sur des lits dorés
Cent flots d'argent liquide,
Sans que le front du laboureur
A leur course rapide 
Joigne les eaux de sa sueur?
 
La nature est inimitable;
Et quand elle est en liberté,
Elle brille d'une clarté
Aussi douce que véritable.
C'est elle qui sur ces vallons,
Ces bois, ces prés et ces sillons
Signale sa puissance;
C'est elle par qui leurs beautés,
Sans blesser l'innocence, 
Rendent nos yeux comme enchantés.

Jean Racine, Louange de Port-Royal, dans: Cantiques spirituels et autres poèmes (coll. Poésie/Gallimard, 1999)

image: Cloître de Port-Royal / Hôpital Cochin, Paris (en.wikipedia.org)

08:30 Écrit par Claude Amstutz dans Lire les classiques, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

01/03/2013

Vendanges tardives - De l'amour 1b

Un abécédaire - A comme Amour

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Donne-moi tes mains pour l’inquiétude
Donne-moi tes mains dont j’ai tant rêvé
Dont j’ai tant rêvé dans ma solitude
Donne-moi tes mains que je sois sauvé

Lorsque je les prends à mon pauvre piège
De paume et de peur de hâte et d’émoi
Lorsque je les prends comme une eau de neige
Qui fond de partout dans mes mains à moi

Sauras-tu jamais ce qui me traverse
Ce qui me bouleverse et qui m’envahit
Sauras-tu jamais ce qui me transperce
Ce que j’ai trahi quand j’ai tressailli

Ce que dit ainsi le profond langage
Ce parler muet de sens animaux
Sans bouche et sans yeux miroir sans image
Ce frémir d’aimer qui n’a pas de mots

Sauras-tu jamais ce que les doigts pensent
D’une proie entre eux un instant tenue
Sauras-tu jamais ce que leur silence
Un éclair aura connu d’inconnu

Donne-moi tes mains que mon cœur s’y forme
S’y taise le monde au moins un moment
Donne-moi tes mains que mon âme y dorme
Que mon âme y dorme éternellement.
 

Louis Aragon, Le fou d'Elsa (coll. Poésie/Gallimard, 2002) 

Morceaux choisis - Andrée Chedid

Andrée Chedid

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A force de frayer
Avec toutes nos paroles
A force de voisiner
Avec nos sombres passions
A force de s'effriter
Sur les corps de passage
L'Amour a-t-il perdu
Innocence et plaisir?
 
A force de renaître
Auréolé de rêve
A force de s'émouvoir
Au passage du désir
A force de s'animer
Aux couleurs de la vie
L'Amour se perpétue
Dans l'être
Et l'infini.
 

Andrée Chedid, L'amour I, dans: Zéno Bianu, Eros émerveillé - Anthologie de la poésie érotique française (coll. Poésie/Gallimard, 2012)

image:  Willy Ronis, Mouche (espritsnomades.com)

00:17 Écrit par Claude Amstutz dans Andrée Chedid, Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

24/02/2013

Morceaux choisis - Agnès Schnell

Agnès Schnell

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L'heure était à l'absence
à cette nécessité portée
en creux
dès l'origine,
et ce dire en staccato
qui affolait
et refusait de se tarir.
 
L'heure était à l'errance
au vertige
sur les terres intimes
au filet lancé à contre espoir
vers la rive
et ramené vide.
 
Tous ces signes
cette force montante
nous absorbaient
nous aveuglaient.
 
La saison s'était égarée
une fois de plus.
 
On se débattait comme on pouvait
on ignorait les parois dressées
à l'improviste
on usait nos dards
on rejettait nos greffons.
 
On n'éprouvait
qu'une impression d'urgence
un émiettement imminent
le grincement des âmes
insatisfaites
 
contre les nôtres.
 

Agnès Schnell, Démesure, dans: Pas d'ici, pas d'ailleurs - Anthologie poétique francophone de voix féminines contemporaines / présentation et choix: Sabine Huynh, Andrée Lacelle, Angèle Paoli, Aurélie Tourniaire / préface: Déborah Heissler (Voix d'Encre, 2012) 

image: Peter Grevstad, Contemplating Mark Rothko (tumblr.com) 

20:47 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

18/02/2013

Morceaux choisis - Roberto Juarroz

Roberto Juarroz

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Un arbre est la forêt.
S'étendre sous son feuillage,
c'est écouter tout le son, 
connaître tous les vents
de l'hiver et de l'été,
recevoir toute l'ombre du monde.
 
S'arrêter sous ses branches sans feuille,
c'est réciter toutes les prières possibles, 
faire taire tous les silences,
avoir pitié de tous les oiseaux.
 
Rester debout à côté de son tronc,
c'est élever toute méditation,
réunir tout le détachement,
deviner la chaleur de tous les nids,
rassembler la solidité de tous les doutes.
 
Un arbre est la forêt.
Mais pour cela il faut
qu'un homme soit tous les hommes.
Ou aucun.
 

Roberto Juarroz, Dixième poésie verticale / édition bilingue (José Corti, 2012)

traduit de l'argentin par François-Michel Durazzo

image: www.petitgestevert.ca

Lire les classiques - Arthur Rimbaud

Arthur Rimbaud

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Par les soirs bleus d'été, j'irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l'herbe menue:
Rêveur, j'en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.
 
Je ne parlerai pas, je ne penserai rien:
Mais l'amour infini me montera dans l'âme,
Et j'irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, — heureux comme avec une femme.

Arthur Rimbaud, Sensation, dans:  Poésies, Une saison en enfer, Illuminations (coll. Poésie/Gallimard, 2010)

02:09 Écrit par Claude Amstutz dans Lire les classiques, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

17/02/2013

Morceaux choisis - Pierre André Milhit

Pierre-André Milhit

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c'est une musique tombée dans le gouffre
c'est un oiseau désemparé
de l'océan dans la trachée
une danse de sang et de soufre
une brouette d'émotions
c'est un charroi de fin du monde
 
ce sont les noces de l'argile
avec le granit de l'ubac
ce sont les noces du sable blond
avec la mémoire des névés
 
elles disent oui
le temps d'une ondée.
 

Pierre-André Milhit, Le garde-barrière dit que l'amour arrive à l'heure (D'Autre Part, 2013)

12/02/2013

Morceaux choisis - Claudine Helft

Claudine Helft

littérature; poésie; anthologie; livres

Viendra le temps de marcher
A rebours de la haine.
Nous dévisserons nos pas
Réajusterons nos empreintes;
Nous ne chercherons plus
Dans nos miroirs
Le reflet ventru des dieux,
Mais nous réinventerons l'homme
En sa propre soif;
Nous gravirons l'étroit matin
Des sans-frontières,
Et n'aurons plus pour religion
Que nos fils et la terre.
 

Claudine Helft, Métamorphoses de l'ombre, dans: Pas d'ici, pas d'ailleurs - Anthologie poétique francophone de voix féminines contemporaines / présentation et choix: Sabine Huynh, Andrée Lacelle, Angèle Paoli, Aurélie Tourniaire / préface: Déborah Heissler (Voix d'Encre, 2012) 

image: mesmotsperdus.blogspot.ch

12:30 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |